Avec le manchot du Cap, le manchot de Humboldt est certainement l’espèce de manchot la plus commune en parc animalier en France. Vous pouvez en admirer au Parc des Oiseaux, au Parc zoologique de Paris, au Bioparc, au Zoo de Beauval ou encore au Zoo du Bassin d’Arcachon qui a reçu début 2022 un groupe de 12 individus. Dans le monde, il en existe environ 3600 en captivité. Mais dans la nature, l’espèce est malheureusement menacée…
Habitat / enclos
Dans l’imaginaire collectif, quand on ne le confond pas avec le pingouin, le manchot est un oiseau évoluant sur la banquise et plongeant dans les eaux glacées de l’Antarctique à la recherche de poissons. Mais en réalité, dans la grande famille des manchots qui regroupe 18 espèces différentes, plusieurs ne vivent pas en Antarctique. C’est le cas du manchot de Humboldt – ou Spheniscus humboldti de son nom scientifique – qui vit sur les côtes continentales et insulaires du Chili et du Pérou, en Amérique du Sud.
Dans la nature, le manchot de Humboldt vit en effet dans des zones bien moins fraîches que le manchot empereur ! « Il s’agit d’une espèce subtropicale habituée à un climat sensiblement proche du nôtre », explique le vétérinaire du Parc des Oiseaux, Éric Bureau. Pour les parcs animaliers qui la présentent, nul besoin donc de prévoir un enclos intérieur fortement climatisé et une banquise reconstituée !
Le Parc des Oiseaux accueille l’espèce depuis 2004. « Autrefois, nous avions des gorfous sauteurs et des manchots papous, dans un bâtiment climatisé. Mais nous ne les avons pas gardés et avons préféré accueillir des manchots de Humboldt. Ils sont donc partis dans d’autres parcs européens », raconte Éric Bureau. Aujourd’hui, le groupe de manchots de Humboldt se compose de 23 individus. Il dispose d’un enclos extérieur d’environ un hectare aménagé, bien entendu, autour d’un bassin de 200 mètres carrés et de 340 mètres cubes.
« Les manchots ont besoin d’un bassin suffisamment grand pour pouvoir nager, mais aussi sauter au-dessus de l’eau comme ils le font souvent. » L’eau est douce et non salée, légèrement chlorée pour éviter le développement de bactéries, mais le vétérinaire assure que cela ne présente pas de risques majeurs pour les manchots, contrairement aux mammifères marins. Grâce à un système de filtration, l’eau du bassin reste toute l’année à température satisfaisante pour les manchots. « Le plus important, c’est que l’eau ne gèle pas. »
Tout autour du bassin, le parc a creusé des terriers artificiels – proches de ceux qu’ils trouvent dans la nature – permettant d’accueillir les couples de manchots et leur progéniture, quand ils se reproduisent. Certains manchots ont également creusé leurs terriers eux-mêmes.
« Les terriers sont assez éloignés les uns des autres afin d’éviter les risques de bagarre en période de reproduction, lorsque les manchots deviennent plus territoriaux. Ils sont également situés à l’écart du bassin, pour leur permettre de se déplacer entre eau et terrier, comme ils le feraient dans la nature. Ces déplacements sont d’ailleurs l’occasion d’interactions avec leurs congénères, et c’est très bien », poursuit le vétérinaire du Parc des Oiseaux.
L’enclos des manchots de Humboldt doit également comporter plusieurs zones d’ombre, car ils recherchent la fraîcheur en été.

Alimentation
Côté nourriture, le régime alimentaire de cet oiseau marin se compose sans surprise principalement de poissons et de crustacés. On dit de lui qu’il est piscivore.
Dans la nature, les manchots de Humboldt partent en effet en expédition en mer pour pêcher de petits poissons – anchois et harengs en tête – ainsi que des crustacés, et accessoirement des céphalopodes. Les eaux dans lesquelles ils pêchent sont très poissonneuses, grâce à la présence de plancton favorisée par le courant de Humboldt, un courant froid qui se forme près de l’Antarctique et remonte le long des côtes du Pérou et du Chili.
En parc animalier, le régime alimentaire de cette espèce est sensiblement proche. « Nous les nourrissons deux fois par jour à raison de 300 à 700 grammes par jour, selon la saison. Par exemple pendant la mue – qui se produit aux alentours de mai-juin chez nous, à la fin de la saison des amours –, les manchots arrêtent de s’alimenter ou presque pendant deux à trois semaines, puis après la mue, cela repart. Alors, nous adaptons les quantités. Il s’agit principalement de petits poissons congelés que nous faisons décongeler. Du sprat essentiellement, qui est un petit poisson gras cousin de la sardine, mais aussi de l’anchois. »
A cela, le Parc des Oiseaux ajoute des compléments alimentaires : principalement des vitamines du groupe B, car le poisson congelé provoque des thiaminases, des enzymes qui dégradent la thiamine, aussi connue sous le nom de vitamine B1. « Nous leur en donnons à raison de deux à trois fois par semaine, directement dans la bouche du poisson que nous leur distribuons », complète Éric Bureau.

Reproduction
Réputés monogames, les manchots de Humboldt restent avec le même partenaire à vie. Mais cela ne veut pas toujours dire que les accouplements extra-conjugaux n’existent pas… Seules des vérifications ADN pourraient en attester.
En attendant, ce sont les deux parents qui élèvent ensemble le petit. Mâle et femelle se relaient en effet pendant la période d’incubation pendant que l’autre part en mer pour se nourrir. Idem après l’éclosion : père et mère se partagent les tâches.
« La femelle pond deux œufs, et le couple est capable d’élever deux oisillons si les conditions sont bonnes, notamment si la nourriture disponible est suffisamment abondante. Les petits seront autonomes aux alentours de l’âge de 4 mois », précise le vétérinaire.
Attention, tous les œufs pondus ne sont pas forcément fécondés. Pour s’en assurer, il faut l’éclairer à la lumière après 6 à 8 jours d’incubation et détecter la présence ou non d’un embryon. « Si on veut vraiment faire de la reproduction et que l’œuf pondu n’est pas fécondé, il est possible de le retirer du terrier du couple. La femelle peut alors pondre une nouvelle fois, potentiellement un œuf fécondé cette fois. »
Au Parc des Oiseaux, la dernière naissance de manchots de Humboldt remonte à 2020. « Nous ne cherchons pas à faire de la reproduction à tout prix. Si cela se produit, tant mieux, mais nous ne faisons pas de reproduction forcée. Le programme EEP dont fait l’objet l’espèce dispose de suffisamment d’individus. Et puis, nous avons restructuré la colonie en 2021, avec des départs et des arrivées (des zoos de Zurich et Dortmund) afin de faire rentrer des lignées différentes pour un meilleur brassage génétique. La colonie devrait donc à nouveau grossir ces prochaines années. »

Santé / caractère
Les manchots de Humboldt sont généralement moins fragiles que les manchots subantarctiques. Ils restent cependant sensibles à certaines maladies, notamment respiratoires.
« Comme pour beaucoup d’oiseaux marins, l’aspergillose – pathologie fongique – présente un risque mortel pour les manchots. Malheureusement, ils peuvent l’attraper partout dans l’air. Il est donc très important de leur construire des terriers bien ventilés et de veiller au respect des règles d’hygiène. Et puis, cette maladie arrive souvent sur un terrain fragilisé, par le stress par exemple, donc il faut également veiller à leur bien-être et éviter les épisodes de stress chronique. »
Les juvéniles sont également sensibles à la malaria aviaire. Cette maladie est causée par des parasites qu’on peut retrouver chez des petits passereaux présents en France et qui sont porteurs sains. Elle est ensuite transmise par des piqûres de moustiques à d’autres oiseaux, et peut s’avérer dangereuse pour les jeunes manchots de Humboldt. « Si un épisode se poursuit, nous mettons tous les individus sous traitement préventif. D’où l’intérêt d’apprendre très tôt aux manchots à venir manger à la main des soigneurs », explique Éric Bureau.
Deux moments forts dans l’année concernant la santé des manchots : la vaccination contre la grippe aviaire et la mue. « Nous vaccinons quasiment toutes nos espèces et procédons selon un protocole bien précis. Pour les manchots, nous les attrapons tous d’un coup pour aller le plus vite possible et limiter au maximum leur stress. » Et quand se présente la période de la mue, comme évoqué plus haut les manchots se nourrissent moins et doivent faire l’objet d’une attention particulière. Il peut arriver aussi que, leur peau étant plus exposée, les manchots attrapent… des coups de soleil ! « C’est déjà arrivé, se souvient Éric Bureau. Alors, nous leur mettons de la crème le temps que les plumes repoussent. »
En captivité, un manchot de Humboldt vit 25 à 30 ans. L’individu le plus vieux en captivité est âgé de 41 ans.
Côté caractère, ces oiseaux très sociaux se montrent particulièrement intéressants pour tout observateur qui aurait la chance de les regarder, en milieu naturel comme en captivité. « Comme c’est le cas généralement des oiseaux qui vivent en colonie, les rapports sociaux entre chacun sont très importants, et laissent apparaître de vraies différences de caractère d’un individu à l’autre. Il y a les plus téméraires, les plus timides, les plus curieux qui aiment se balader et explorer tous les coins et recoins de leur enclos… C’est fascinant », s’émerveille le vétérinaire du Parc des Oiseaux.
D’ailleurs, les soigneurs les reconnaissent individuellement, grâce à leur caractère bien sûr, mais aussi à leur tâche noire sur leur plastron, unique d’un manchot à l’autre. Lorsqu’arrive le moment du nourrissage, les manchots de Humboldt ne craignent pas de s’approcher du soigneur. « De cette façon, nous n’avons pas besoin de faire de medical training. Si l’un d’eux doit prendre un médicament, il suffit de le placer dans sa nourriture et de lui donner directement. »

Conservation
S’il est plutôt commun en parc animalier, le manchot de Humboldt est malheureusement menacé dans la nature. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) classe l’espèce Spheniscus humboldti dans la catégorie « vulnérable » à l’extinction, avec un peu moins de 24.000 individus recensés à l’état sauvage.
Le déclin de l’espèce remonte aux années 1850, lorsqu’on a commencé à exploiter le guano – fientes – de manchots comme engrais naturel… Puis, il s’est aggravé avec la chasse pour sa graisse et la pêche intensive.
A ces menaces s’ajoute désormais un danger supplémentaire d’ordre climatique. Le manchot de Humboldt est en effet menacé par les phénomènes El Niño et La Niña, qui affectent le régime des vents dans le Pacifique équatorial, ainsi que la température de la mer et les précipitations. Cela a une incidence directe sur le nombre de proies disponibles, et donc sur la reproduction et la survie des jeunes manchots. Les fortes pluies peuvent également détruire leurs terriers.