Avec son petit costume noir et blanc, sa touche de rose au coin de l’œil et sa démarche à la fois prudente et rigolote, le manchot du Cap est l’un des oiseaux stars de nombreux parcs animaliers. C’est d’ailleurs l’espèce de manchot la plus commune en captivité en France, avec le manchot de Humboldt. On la retrouve par exemple au Safari de Peaugres, au zoo de Mulhouse, celui de Champrépus ou encore à Nausicaá, l’aquarium de Boulogne-sur-Mer où travaille Constance Daverton. Là-bas, cette soigneuse animalière s’occupe – entre autres – des manchots du Cap. Elle nous explique tout ce qu’il faut savoir sur cette espèce.
Habitat / enclos
Contrairement aux idées reçues, tous les manchots ne vivent pas sur la banquise. En fait, parmi les 18 espèces de manchots qui existent dans le monde, plusieurs vivent dans des régions au climat plutôt doux.
C’est le cas du manchot du Cap qui, comme son nom l’indique, vit en Afrique du Sud. Le Cap est en effet une ville située sur la côte sud-ouest du pays, à l’extrême sud du continent africain. Mais cet oiseau inapte au vol ne vit pas uniquement en Afrique du Sud. On le trouve également en Namibie, au nord-ouest de l’Afrique du Sud, sur la côte Atlantique. Il lui arrive aussi de passer par l’Angola, le Mozambique, le Congo et le Gabon mais de façon plus temporaire.
Les colonies de manchots du Cap s’établissent plutôt sur les îles alentours. Seules quatre colonies sont officiellement connues pour être continentales : deux se trouvent en Afrique du Sud – dont les fameux manchots de Boulders Beach, installés près d’une zone résidentielle – et deux autres en Namibie.
Oiseaux semi-aquatiques, les manchots du Cap passent une grande partie de leur temps en mer, où ils chassent leur nourriture. Ils reviennent ensuite se reposer, se reproduire et élever leurs petits à terre. Sans surprise, on les trouve donc le long des côtes. Ils affectionnent tout particulièrement les plages de sables, mais peuvent aussi s’établir dans des zones plus rocheuses.
En captivité, la présence d’un bassin d’eau est donc primordiale pour le bien-être des manchots. A Nausicaá, qui accueille l’espèce depuis 2006 et présente aujourd’hui une colonie de 22 adultes et 2 juvéniles en partance pour d’autres parcs animaliers, le bassin permet aux manchots de plonger jusqu’à 1m50 de profondeur. Quant à l’eau, il s’agit d’eau de mer pompée directement sous le sable dans la plage située à côté de l’aquarium. Elle est ensuite traitée, nettoyée avant d’arriver dans les bassins d’exposition et en réserve. « En plus de cette filtration, nous nettoyons régulièrement le fond de la décante, car les fientes de manchots, c’est très salissant ! », explique Constance Daverton, soigneuse animalière.
Contrairement à d’autres parcs où l’enclos des manchots est extérieur, celui de Nausicaá est intégralement en milieu fermé. « Mais les manchots profitent de la lumière naturelle du soleil grâce à la verrière installée et qui leur permet d’avoir du soleil matin et soir, précise la soigneuse. C’est très important pour eux d’avoir cette luminosité, car cela joue sur les périodes de reproduction. »
Côté température, l’eau ne descend pas en-dessous des 5 degrés et ne dépasse pas les 18 degrés, suivant les recommandations pour cette espèce. Idem côté température extérieure, « nous nous calons sur celles d’Afrique du Sud, oscillant entre 15 degrés l’hiver et 22 degrés l’été ».

Alimentation
Les manchots du Cap sont piscivores, c’est-à-dire qu’ils mangent principalement du poisson. Dans la nature, ils le pêchent en mer grâce à leurs incroyables qualités de nageurs. Puisque ses ailes ne lui servent pas à voler, Spheniscus demersus les utilise comme des nageoires pour se déplacer sous l’eau. Et ça fonctionne plutôt bien puisque, grâce à elles, il est capable de nager jusqu’à 20 km/h et d’avoir une belle endurance, entre 30 et 70 km sans s’arrêter.
Ses proies favorites sont les petits poissons gras avec, en tête de ses préférences, les sardines et les anchois. Le manchot du Cap peut aussi manger des petits crustacés et des céphalopodes, lorsque l’occasion se présente.
A Nausicaá, les repas sont distribués deux fois par jour minimum, le matin et l’après-midi, et jusqu’à trois fois selon la période de l’année. « Nous leur donnons principalement du capelan et du hareng, et aussi des petits sprats mais ce n’est pas ce qu’ils préfèrent, reprend leur soigneuses. En fait, cela dépend des jours : parfois ils auront envie de rogner l’un plutôt que l’autre. » D’où l’importance de varier les types de poissons proposés.
A ces nourrissages s’ajoutent des vitamines, au moins une fois par jour, pour compléter les apports journaliers dont ont besoin les manchots et qui sont quelque peu appauvris par la décongélation des poissons qu’ils consomment. « Nous essayons de leur distribuer sous forme d’entraînement médical, pour nous assurer que chacun reçoit la bonne dose. »
Les quantités de nourriture distribuées varient selon le moment de l’année, selon que les manchots sont en période de mue ou de reproduction notamment. « En période creuse, nous, nous leur donnons 4 kg par jour pour 22 adultes, soit environ 180 grammes par individu, et jusqu’à 12 kg au plus haut, soit 545 grammes par tête. »
Au moment de la couvaison, les parents sont nourris directement dans le nid pour s’assurer que les deux, qui se relaient pour couver, mangent suffisamment.

Reproduction
Les manchots sont réputés pour être monogames, et le manchot du Cap ne fait pas exception. Une fois qu’ils se sont trouvés, mâle et femelle resteront ensemble jusqu’à la fin. « Les couples sont très fidèles, je n’ai jamais observé de copulations extraconjugales… Même s’il y a tout de même quelques petits flirts. Mais cela ne va pas plus loin », témoigne Constance Daverton.
C’est vers l’âge de 4 ans que les manchots du Cap atteignent leur maturité sexuelle et se mettent à la recherche d’un partenaire. Une fois trouvés, les manchots peuvent se reproduire toute l’année, mais des saisons sont plus propices que d’autres. « En Afrique du Sud, cela se produit vers la fin de l’automne, ce qui correspond au printemps chez nous, et une deuxième saison des amours a lieu à la fin de l’hiver, début du printemps », reprend la soigneuse.
Etre en couple depuis longtemps ne veut pas dire que plus aucun effort n’est fait pour séduire l’autre ! « Environ trois semaines avant, les manchots commencent à parader et à s’appeler. » S’en suivent des accouplements et une ponte de 1 à 2 œufs par période de reproduction, donc une à deux fois dans l’année.
« A Nausicaá, nous avons décidé de ne pas récupérer l’œuf pour vérifier s’il contient un embryon. Nous préférons laisser les parents tranquilles, et puis, ça évite de se faire pincer les doigts ! », s’amuse la soigneuse. Après une couvaison de 39 à 40 jours supervisée à tour de rôle par le mâle et la femelle, les œufs éclosent. « Là encore, pour s’occuper des poussins, les deux partenaires se relaient : l’un reste avec les petits dans le nid pendant que l’autre part chercher la nourriture. Les parents régurgitent du jus de poisson pour nourrir les petits. »
Ils seront nourris ainsi pendant environ deux mois, puis progressivement de moins en moins pour les inciter à devenir autonomes. « Certains couples aiment garder leurs petits longtemps, et on a déjà vu des Tanguy qui, vers 6 à 8 mois continuaient d’être nourris par leurs parents », raconte Constance Daverton. Mais cela ne dure qu’un temps. En captivité, les petits finissent bien souvent par partir dans d’autres parcs animaliers une fois arrivés à l’âge adulte, afin d’assurer un brassage génétique.

Santé / caractère
A les regarder s’amuser dans leur bassin ou se chamailler gentiment sur le bord, on se doute bien que ces oiseaux qui vivent en colonie sont des animaux très sociaux. Ce que confirme leur soigneuse : « Ils sont véritablement très sociables. Mais cela n’empêche pas des petites bagarres, de temps en temps, par exemple quand un manchot décide de s’approprier le nid d’un autre, parce qu’il le trouve mieux placé. Cela arrive peu, mais c’est possible. »
Les périodes de reproduction sont particulièrement charnières, et des petits conflits peuvent survenir. « Pour les limiter au maximum, nous leur mettons des branchages à disposition afin que tous puissent avoir les ressources qu’il faut pour préparer leur nid. »
Ces oiseaux interagissent donc beaucoup avec leurs congénères, mais aussi avec leurs soigneurs et les visiteurs. « Ils sont très curieux et ne sont jamais les derniers pour jouer avec nous, assure Constance Daverton. Alors pour les amuser, nous utilisons des bulles de savon, ou des chaînes qu’on suspend au plafond et qu’ils essaient de tirer… Ils sont tout de suite intrigués. »
Avec un tel caractère, les manchots sont sans surprise très réceptifs à l’entraînement médical. « Ils doivent suivre et toucher une cible et, s’ils y parviennent, reçoivent un signal sonore et du poisson. Cela nous permet de leur donner des poissons vitaminés à chacun, et aussi de vérifier d’éventuelles blessures car à ce moment-là, ils écartent les ailes et tendent le cou. »
Côté santé, les manchots du Cap n’ont pas de problèmes particuliers. Comme chez les manchots de Humboldt, la période de la mue est toujours un peu plus délicate. « Surtout chez les manchots vieillissants : les mues sont alors plus longues et plus difficiles », confirme leur soigneuse. Il faut alors faire attention aux éventuels problèmes de peau qui peuvent survenir.
« Les manchots sont aussi sujets aux conjonctivites. Quand cela arrive, il faut les isoler – avec leur partenaire, même si celui-ci n’a rien, pour éviter de stresser le manchot à soigner – et leur mettre des gouttes. Ou bien, les encourager à se mettre à l’eau pour bien hydrater les yeux et faciliter ainsi la guérison. »
Les manchots sont également sensibles à l’aspergillose, une maladie qui vient d’un champignon, se propage dans l’air et peut causer la mort de l’animal. Un risque moindre à Nausicaá, où les manchots sont en milieu fermé. Idem en ce qui concerne les risques de grippe aviaire. La colonie n’est d’ailleurs pas vaccinée.
En captivité, les manchots du Cap peuvent vivre une trentaine d’années.

Conservation
Si les populations captives de manchots du Cap se portent plutôt bien, ce n’est pas le cas des colonies sauvages. D’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’espèce est classée en danger d’extinction. Elle a commencé à fortement décliner à partir du XXe siècle, en raison de différentes menaces. Résultat, alors qu’il existait environ 2 millions de manchots du Cap dans la nature à la fin du XIXe siècle, ils n’étaient plus qu’un demi-million à la fin du XXe siècle, et en 2010, on en comptait seulement 55.000.
La chasse dont elle a fait l’objet à partir du XVIe siècle a commencé à compliquer sérieusement les choses pour l’espèce. Sur la route des Indes, les navigateurs qui faisaient escale en Afrique du Sud ne se gênaient pas pour tuer massivement des manchots et les manger. Puis, s’en est suivie la récolte de guano à partir du milieu du XIXe siècle, pour s’en servir comme d’un engrais dans l’agriculture. Si cette récolte ne tue pas directement les manchots, elle perturbe fortement leurs zones de nidification, contraignant les oiseaux à abandonner leurs nids et jetant ainsi un froid sur les chances de l’espèce de se reproduire. Sans compter qu’à la même période a démarré le prélèvement des œufs de manchots africains pour la consommation humaine.
Les manchots du Cap ont également sérieusement pâti de catastrophes comme les marées noires, avec plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux mazoutés, de la surpêche, qui réduit le nombre de proies disponibles, et du changement climatique.
Alors, pour tenter de freiner son déclin, des programmes de conservation ont vu le jour. La fondation SANCCOB, basée en Afrique du Sud et soutenue par Nausicaá, est particulièrement active, tout comme le Sanctuaire des manchots du Cap et des oiseaux de mer. Côté conservation ex-situ, le manchot du Cap fait l’objet d’un programme européen d’élevage, supervisé par l’EAZA.